— Il va comment ?
— Il est vivant, mais il passe la plus grande partie de son temps à dormir, et quand il ne dort pas il déambule dans les couloirs avec ses charentaises aux pieds en marmonnant des trucs incompréhensibles, sur des aliens communistes, la NSA, l’Hadopi et la centrale de... Pogloff
— Il faut dire que vous lui avait quand même donné des doses de cheval d’antidépresseurs et que ce n’est pas un cheval.
— Ça non cher confrère, votre patient n’est pas un cheval, à la limite on pourrait dire que c’est un âne mais pas un cheval ! le docteur Berthier s’esclaffa d’un rire porcin.
Leroy ne rit pas, çà faisait plusieurs semaines que Marcel était à sainte Anne et la seule solution proposée par Berthier et son équipe était de le gaver de cachets.
D’un autre côté quand on suspendait le traitement il se méfiait de tous ceux qui l’approchaient et essayait de les agresser en leur hurlant dessus qu’ils étaient des criminels a la botte de cripto-capitalistes.
— Donc si je vous comprends il n’est pas près de sortir ?
— Non il est trop dangereux, et vu que son état ne s’améliore pas je ne ferais aucun pronostic. Berthier rajouta d’un air préoccupé :
Vous savez Leroy c’est dur à dire, mais j’ai bien peur qu’il soit suffisamment atteint pour finir ses jours ici.
— Je comprends. dit Leroy.
Puis il mit rapidement fin à la conversation, sorti du bureau et se dirigeât vers la sortie. À sa droite une verrière donnait sur un jardin magnifique sous le soleil de juin, à sa gauche de grande portes s’ouvraient d’où sortaient tous ces bruits communs aux hôpitaux, chariots qui roulent, échanges à voix basses entre soignants et patients, rire des aides soignantes pendant la pause.
Il y avait aussi tous ces sons moins courants qu’on n’entend que dans les hôpitaux psychiatriques : rires déments, sanglots, cavalcades des personnels de salle, martèlement contre les portes ou les murs.
Au moment de passer le dernier couloir il entendit un son qui le fit ralentir :
Chomp, Chomp, Chomp…
Il savait ce qu’était ce bruit, il accéléra le pas, passa le sas et, sans s’arrêter continua dans la rue.
Il était triste pour son vieux patient, son vieil ami. Il pensa à Suzanne. Il faudrait l’appeler. Les nouvelles n’étaient pas bonnes du tout.
⁂
L’agence Focus s’était taillée une réputation planétaire dans le monde de la photo, les trois photographes qui s’étaient associés pour la créer avait eu une idée de génie : croiser leurs savoir-faire. L’un venait du photoreportage, l’autre de la mode le dernier était un ancien paparazi qui avait fait fortune avec les photos plus que compromettantes d’un député qui chaque soir se transformait en livreur de pizzas pour gagner de quoi compenser sa perte de pouvoir d’achat, quand il était passé du monde de l’entreprise à celui de la politique.
Le fait que Focus soit capable de trouver des photos, ou d’en produire sur tout types de sujets, faisait qu’il n’y avait pas une semaine ou l’on ne trouve une de leurs images à la une d’une revue, d’un journal ou d’un catalogue.
Cette émulation des compétences leur permettaient de s’attacher les services de photographes touche à tout qui confiaient à l’agence la gestion de leurs images, mais aussi de leur carrières.
Lucien était un de ces vieux briscard de la commercialisation de photos, qui connaissait toutes celles et ceux qu’il fallait connaître dans les agences et les galeries. Il couvait comme une mère poule une trentaine de photographe dont le jeune Thibault Misson qui passait sa vie entre l’Afrique ou il s’était taillé une solide réputation de photographe animalier, et Paris source perpétuelle d’inspiration tant pour l’art que le reportage..
— Donc tu as passé trois mois au Kenya pour suivre la migration des troupeaux ? Lucien faisait défiler les photos sur sa tablette.
— Oui, j’ai suivi un garde du parc national qui accompagnait les animaux, pour surveiller que les braconniers ne profitent pas des mouvements des troupeaux pour les chasser. Il noue une sorte de complicité avec les Bêtes tiens regarde celles-là. il lui montre une série de clichés. On le voit s’approcher des gnous à trois mètres sans qu’ils essayent de s’en prendre à lui… t’en penses quoi ?
— Je pense que Nat Géo va adorer, je les vois bien faire un article style « danse avec les gnous ». Je serais pas surpris que dans la foulée ils te proposent une mission de consultant extérieur pour un reportage télé pour leur chaîne…
Lucien était enthousiaste. il ajouta :
T’as d’autres projets ?
— Un truc plus personnel, je sais plus bien quoi en faire…
— Tu me donnes envie là raconte.
Thibaut pris un instant la tablette des mains fouilla des répertoires et la lui rendit.
Lucien fit défiler les clichés en silence pendant quelques minutes.
— C’est qui ce vieux ?
— Un type qui habite dans l’immeuble en face du mien. Quand je suis arrivé dans le quartier, il était à quelques années de la retraite, il sortait avec ses copains pour boire des bières, et refaire le monde. apparemment il était vachement impliqué à gauche : Les lyndicats, politique, parfois il tractait, souvent il interpellait les gens pour leur faire la leçon. Une fois il m’a coincé dans la cours de la résidence pour me filer un tract, je n’arrivais pas à m’en dépêtrer.
Par contre, je l'ai trouvé super attachant, chaque année pour faire plaisir à sa femme il prenait son camping car et partait a Palavas. c’est sa femme qui m’avait dit çà un jour. Je crois qu’elle espérait qu’ils aillent s’y installer pour la retraite.
Je crois pas que çà le tentait lui... Il avait le profil de ces papy qui sont de toutes les causes, de toutes les manifs.
Lucien en était pendu a ses lèvres
— Et ? dit il.
— Et apparemment çà ne c’est pas du tout passé comme ça. Dès qu’il a été a la retraite il a commencé a rester chez lui. il a commencer a passer ses journées sur le web. Je vois assez bien son salon de chez moi.
il ne sortait plus que pour fermer les volets.
A chaque fois que je rentrais de reportage, faisait un cliché. En fait c’est un peu de la photo animalière, « le vioque en charentaise dans son milieu naturel » il sourit.
Lucien aussi, et il ajoutât, « je suis pas sur que ça intéresse beaucoup Nat Géo ! »
Thibault repris et pis j’ai remarqué un truc: Regarde comme au fur et a mesure il a l’air de plus en plus stressé, tendu perdu. Je me suis dit, qu’on pourrait en faire un truc un peu « social », sur la manière dont Internet gens les gens malheureux.
Lucien fit défiler les photos au fil des années.
— Bordel, mais tu as raison, et tu sais quoi je pense qu’on peut en faire un truc, ad-minima de l’illustration, au mieux un beau livre sur la déchéance des retraités dans un monde où ils s’isolent dans le numérique en l’absence de vrais relations humaines pour finir a se gaver de mauvaises nouvelles sur le web.
Il faudrait trouver un rédacteur sur le projet et contacter ton vieux pour avoir son accord.
Thibault fit une grimace
— Ben je sais pas trop, mon souci c’est qu’apparemment il n’habite plus là. Sa femme a du réussir à le faire déconnecter, il a dû quitter ses charentaises, Ils sont sans doute partis s’installer à Palavas.
— C’est con ! dit Lucien. Je pense qu’on aurait pu en faire une histoire passionnante.
— Tu crois ? Tu penses que les gens auraient voulu suivre ce truc ?
— Tu sais les gens arrivent à se passionner pour n’importe quelle histoire